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Troubles bipolaires : traitement médical de maintenance - par T. Mauras, M. Masson, C.Gay

Par Neptune 

le 02/06/2014 

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TRAITEMENT DE MAINTENANCE DES TROUBLES BIPOLAIRES



Par :

Thomas Mauras, Chef de clinique-Assistant, service de Psychiatrie, hôpital Pitié-Salpétrière, Paris,
Marc Masson, Psychiatre, clinique du Château de Garches,
Christian Gay, Psychiatre, clinique du Château de Garches.

Tous trois déclarant ne pas avoir de conflit d'intérêt en lien avec le texte publié.
Avertissement

Cet article est extrait du manuel le plus complet qui soit en langue française, rédigé par des psychiatres conventionnels à l'usage de leurs confrères.

Nous ne pouvons pas tout commenter dans la colonne de droite, ce qui ne signifie pas que certains points ne pourraient pas l'être davantage...

Nous avons modifié le titre original de l'article, pour ajouter le mot "médical", car les psychothérapies font partie d'un monde qui intéresse peu les auteurs : elles sont développées dans d'autres chapitres.

Un traitement de "maintenance" est destiné à la stabilisation, à partir du 6eme mois après un épisode majeur (dépressif, maniaque ou hypomaniaque).

Ces informations sont essentielles : trop de traitements sortent de ces recommandations.

N'hésitez pas à acquérir ce livre, à nous poser des questions, et à l'emporter en consultation : non pas pour contester ce que dira ou fera le psychiatre (ils ont horreur de ça, et vous en ferez les frais), mais pour le lui prêter gracieusement s'il ne l'a pas ! Progressivement il faudra qu'il vous parle tel(le) que vous êtes devenu(e) : expert(e) de votre maladie : vous ne pourrez qu'en tirer bénéfice !

L'article suivant traite des effets indésirables, et un suivant traite des populations particulières (personnes âgées, grossesses, insuffisance rénale ou hépatique)

Traité sur les troubles bipolaires - Neptune
Les Troubles bipolaires - 2014
Chapitre 55

Introduction


"L'intervalle libre de tout symptôme est un mythe, le pronostic de la pathologie se trouve moins dans le traitement des phases aiguës que dans la gestion des périodes d'équilibre et la prophylaxie de nouveaux épisodes"


(14) GOODWIN F K , JAMISON K R . Manic-depressive illness : bipolar disorders and récurrent dépression, New York, Oxford University Press, 2007, 1 264 pages.

1  lamotrigine : Lamictal
valproate : Dépamide, Dépakote
carbamazépine : Tegretol

( 8 ) CIPRIANi A, BARBUI C, SALANTI G et al. Comparative efficacy and acceptability of antimanic drugs in acute mania : a multiple-treatments meta-analysis. Lancet, 2011, 378 : 1306-1315.

(38) TSAi AC, ROSENLICHT NZ, JUREIDINI JN et al. Aripiprazole in the maintenance treatment of bipolar disorder : a critical review of the évidence and its dissémination inco the scientific literature. PLoS Med, 2011, 8 : e1000434.

(17) HIRSCHOWiTZ J, KOLEVZON A, GARAKANI A. The pharmacological treatment of bipolar disorder ; the question of modem advances. Harv Rev Psychiatry, 2010, 18 : 266-278.
Le trouble bipolaire a longtemps été présenté comme la succession dans le temps d'épisodes thymiques de polarité inversée, entrecoupés de périodes d'euthymie. Cette description, véridique à certains égards, met l'accent sur le traitement des phases aiguës.

L'intervalle libre de tout symptôme est un mythe, le pronostic de la pathologie se trouve moins dans le traitement des phases aiguës que dans la gestion des périodes d'équilibre et la prophylaxie de nouveaux épisodes. Chaque période du trouble bipolaire possède ses caractéristiques propres et répond à des objectifs de traitement différents. En cas de réponse thérapeutique, la définition de la phase aiguë d'un épisode thymique est arbitrairement limitée entre 6 à 12 semaines et vise un retour à l'euthymie. Le traitement de consolidation concerne la fragile période des six premiers mois. On parlera ensuite de traitement de maintenance.

Les thymorégulateurs sont l'apanage du traitement de maintenance. Pour autant, en donner une définition reste un exercice périlleux. Pour la plupart des auteurs (14), un thymorégulateur est une médication qui doit démontrer une efficacité curative et prophylactique. Dans cette acceptation, seul le lithium et certains anticonvulsivants (lamotrigine, valproate, carbamazépine) 1 ont apporté des résultats convaincants. En l'état actuel des connaissances scientifiques ( 8, 38), les neuroleptiques dont l'utilisation dans les phases aiguës ou de consolidation trouvent une indication bénéfique ne devraient pas être considérés comme des thymorégulateurs au sens strict. À l'inverse, le lithium, dont le volume de prescription chute au profit d'autres molécules, reste depuis plus de 60 ans le thymorégulateur avec la plus probante efficacité (17).




I. PROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES





Remarques générales


Prendre en charge un patient souffrant d'un trouble bipolaire demande du temps, celui de l'alliance thérapeutique, d'une stabilité, qui est devenue bien souvent pour le patient une notion abstraite. Il est fondamental de mettre en lumière et de travailler les croyances erronées sur la pathologie, ainsi que les logiques qui les maintiennent (généralisation, pensée en tout ou rien, perte du sentiment d'efficacité personnelle).
(15) GOODWIN GM. Evidence-based guidelines for treating bipolar disorder : revised second edition-recommendations from the British Association for Psychopharmacology. J Psychopharmacol, 2009, 23 : 346-388.

(20) KAHN DA, SACHS GS , PRINTZ DJ et al. Médication treatment of bipolar disorder 2000 : a summary of the expert consensus guidelines. J Psychiatr Pract, 2000, 6: 197-211.

(41) YATHAM LN, KENNEDY S H , SCHAFFER A et al. Canadian Network fot Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) and International Society for Bipolar Disorders (ISBD) collaborative update of CANMAT guidelines for the management of patients with bipolar disorder : update 2009. Bipolar Disord. 2009, 11: 225-255.
Il est tout aussi important pour le patient et son thérapeute de bien reconnaître les symptômes précurseurs d'un épisode qui sont propres à chaque individu en termes d'expres​sion(insomnie, irritablité, pleurs) que de durée (certains patients présentent des rechutes extrêmement brutales, par effet on-off). Le thérapeute a la charge de se souvenir et de comparer, d'intervenir ou de rassurer : de faire des choix prudents basés sur des informations insuffisantes afin de ne pas prescrire des thérapeutiques inutiles et de ne pas laisser l'amorce d'une récidive se constituer. Un suivi régulier, puis rapproché dans les périodes difficiles, est l'allié nécessaire de ces délicates situations, un journal dans lequel le patient rapporte quotidiennement son humeur un précieux repère.

Compte tenu de la fréquence des rechutes (< 6 mois), il est difficile de juger de l'efficacité du traitement choisi dans ce délai. A nouveau, c'est après plusieurs mois (au moins un an), idéalement 2 ou 3 ans que l'on pourra réellement avoir une idée précise de l'effet prophylactique de la ligne de traitement adoptée et de sa tolérance.

Les propositions thérapeutiques suivantes sont la synthèse des recommandations et littérature internationales (15, 20, 41) sur le traitement médicamenteux des troubles bipolaires. Ces données ont le mérite d'exister et de pouvoir façonner un argumentaire thérapeutique. Pour autant, elles sont parfois loin de nos cadres quotidiens de prescription. Rares sont les patients en monothérapie, sans autres co-morbidités psychiatriques associées ou présentant une symptomatologie modérée. Nous avons donc voulu y apporter des avis d'experts qui, en perdant en reproductibilité, y gagnent en « pratique de terrain ». C'est aussi cette expérience clinique qui nous avons voulu collecter et partager.

Trouble bipolaire de type 1


Le trouble bipolaire de type 1 reste l'archétype du trouble de l'humeur et celui pour qui la lithothérapie doit être systématiquement envisagée en première intention. Une intolérance individuelle, la persistance de symptômes résiduels importants ou de nombreuses rechutes font vérifier l'observance, éventuellement prescrire des thérapeutiques adjuvantes, puis à regret changer de thymorégulateur. Certains facteurs sont prédictifs d'une bonne réponse au lithium (22).

  • En premier lieu, la séquence évolutive manie-dépression-intervalle libre,
  • un âge moyen (25-30 ans) au début de la pathologie,
  • un antécédent de bonne réponse thérapeutique à la lithothérapie chez un apparenté.

A l'inverse,

  • un nombre important d'hospitalisations antérieures,
  • un schéma de type dépression-manie
  • et des cycles très rapprochés

sont des facteurs prédictifs de mauvaise réponse thérapeutique.

(28) MALHI GS, TANIOUS M, GERSHON S. The lithiumeter : a measured approach. Bipolar Disord, 2011, 13 : 219-226.
La cible de la concentration plasmatique du lithium dépend de la phase de la maladie et de la prédominance de la polarité au cours du temps. L'utilisation d'outil analogique comme le lithiumeter de G. Malhi (28), reproduit au chapitre 57, permet une représentation simple, communicable au patient. En période d'euthymie, lors de l'initiation du traitement, la posologie permettant une concentration plasmatique de 0,6 à 0,8 mmol/l est le meilleur compromis efficacité/effets indésirables. Si le patient présente une pathologie à polarité maniaque, la concentration recherchée est entre 0,6 et 1 mmol/l tandis qu'elle est entre 0,4 et 0,8 mmol/1 pour la polarité dépressive.

(41) YATHAM LN, KENNEDY S H , SCHAFFER A et al. Canadian Network fot Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) and International Society for Bipolar Disorders (ISBD) collaborative update of CANMAT guidelines for the management of patients with bipolar disorder : update 2009. Bipolar Disord. 2009, 11: 225-255.

2 Acide valproïque : Depakote ; aripiprazole : Abilify ; olanzapine : Zyprexa ; carbamazépine : Tegretol

(24) LICHT RW. A new balance in bipolar I disorder. Lancet, 2010, 3 7 5 : 350-352.

(22) KLEINDIENST N , ENGEL R, GREIL W . Which clinical factors predict response to prophylactic lithium ? A systematic review for bipolar disorders.  Bipolar Disord, 2005, 7 : 404-417.
Polarité maniaque prédominante

Lors d'un épisode maniaque inaugurant un trouble bipolaire, le lithium est le traitement de maintenance ayant montré la plus grande efficacité prophylactique et sera prescrit en première intention (41). En cas d'intolérance, le choix de l'acide valproïque 2 paraît être le plus judicieux en termes de rapport efficacité/effets indésirables, suivi de l'aripiprazole  2 et de l'olanzapine  2, dont le profil des effets indésirables en limite l'utilisation en première intention. En cas de difficulté d'équilibration au cours du temps, certaines associations sont utilisées avec profit. La plus couramment prescrite est une lithiothérapie associée à un anticonvulsivant (acide valproïque ou carbamazépine  2 ) ou à un antipsychotique de deuxième génération (aripiprazole ou olanzapine 2). Cependant, selon une récente étude (24), l'association lithium-acide valproïque n'était pas plus efficace que la prescription de lithium seul dans la prévention d'une rechute à 2 ans. Le recours à l'électroconvulsiothérapie de maintenance (1 par mois environ) prolongeant une cure bien conduite présente souvent un rapport efficacité/tolérance plus favorable que de nombreuses associations, particulièrement chez le sujet âgé (22).


Polarité dépressive prédominante

3 Lamictal


(34) SEO HJ , CHIESA A, LEE SJ, Safety and tolerability of lamotrigine : results from 12 placebo-controlled clinical trials and clinical implications. Clin Neurophatmacol, 2011, 34:39-47.


(13) GOLDSMITH DR , WAGSTAFF AJ, IBBOTSON T , PERRY CM. Lamotrigine ; a review of its use in bipolar disorder. Drugs, 2003, 63 : 2029-2050.


4 Attention: la lamotrigine a d'autres effets secondaires reconnus y compris par son laboratoire GSK, mais non détaillés dans cet ouvrage.


(4) CALABRESE JR, SULLIVAN JR, BOWDEN CL et al. Rash in multicenter trials of lamotrigine in mood disorders : clinical relevance and management. J Clin Psychiatry, 2002, 63 : 1012-1019.
Une littérature de plus en plus riche fait état des bénéfices de la lamotrigine 3 dans le trouble bipolaire (34). Présentant un faible effet antimaniaque, la lamotrigine s'impose actuellement comme le thymorégulateur rivalisant avec l'effet préventif du lithium pour les rechutes dépressives (13). Elle possède un meilleur profil de tolérance pouvant la faire prescrire en première intention dans ce cadre. Hormis quelques céphalées transitoires, la lamotrigine est très bien tolérée.
La seule précaution à prendre 4 est l'évaluation du risque d'apparition d'une éruption cutanéomuqueuse, rare mais potentiellement gravissime (syndrome de Stevens-Johnson) (4). Cette réaction immuno-allergique est estimée à 1 pour 5 000 patients traités pour épilepsie, cette incidence étant probablement moindre étant donné l'augmentation progressive de la titration et la plus faible posologie employée en psychiatrie. Il est important de bien reconnaître les signes de gravité d'une éruption cutanée, car les manifestations bénignes liées à la lamotrigine sont fréquentes (2 à 5 % de plus que le placebo) et, mis à part une augmentation plus progressive et un renforcement de la surveillance, ne devraient pas faire interrompre la prescription. Les signes qui devront faire craindre une complication et motiver un avis dermatologique avec admission en urgence dans une unité de soins somatiques intensifs sont les suivants : l'aspect purpurique des lésions (ne s'effaçant pas à la vitropression), leur caractère extensif et confluent, se situant particulièrement dans le cou et sur le haut du tronc, touchant les muqueuses (faire ouvrir la bouche, s'enquérir des muqueuses, notamment génitales) avec des manifestations systémiques (fièvre, malaise générale, adénopathies, etc.). A l'inverse, une éruption survenant typiquement entre les 10 et 14 jours, non purpurique, poncriforme, non confluente et sans signes systémiques, pourra être diagnostiquée comme bénigne. La titration de la lamotrigine sera alors suspendue et un traitement symptomatique prescrit (antihistaminique comme l'hydroxyzine 25 mg 3 fois par jour et/ou une corticothérapie locale pour le prurit comme désonide pommade, 1 à 2 applications par jour). La surveillance sera rapprochée, particulièrement lors de la reprise de la titration, et le patient instruit des signes de gravité et de la nécessité de consulter en urgence le cas échéant.



Trouble bipolaire de type 2


(19) JUDD LL, AKISKAL HS , SCHETTLER PJ et al. Psychosocial disability in the course of bipolar I and II disorders : a prospective, comparative, longitudinal study. Arch Gen Psychiatry, 2005 , 62: 1322-1330.


(39) WONG MMC. Management of bipolar II disorder. Indian J Psychol Med, 2011, 33 : 18-28.


(3) CALABRESE JR, SUPPES T, BOWDEN CL et al. A doubleblind, placebo-controlled, prophylaxis study of lamotrigine in rapid-cycling bipolar disorder. J Clin Psychiatry, 2000, 61 : 841-850.
La prédominance des épisodes dépressifs dans le trouble bipolaire de type II le rapproche cliniquement d'un Trouble dépressif récurrent. Cependant, le profil évolutif en tetmes de pronostic diffère. Certaines études avancent même l'idée que le trouble bipolaire de type II est plus délétère que le type I , avec une surmortalité en lien avec le plus grand nombre de suicides (19). Cette surmortalité par suicide, qui s'ajoute aux retentissements socioprofessionnels, nécessite une évaluation prudente et un choix de thymorégulation adaptée.

Peu d'études permettent d'orienter le choix du thymorégulateur dans le trouble bipolaire de type II (39). Le lithium est classiquement retenu dans ce contexte, mais les données de la littérature proviennent essentiellement d'études d'observation.

En revanche, la lamotrigine (Lamictal) est le seul thymorégulateur ayant démontré dans une étude contrôlée une bonne efficacité à 6 mois dans la dépression bipolaire de type II (3). Sa très bonne tolérance en fait un traitement de premier choix dans cette indication. En cas d'efficacité insuffisante en monothérapie, la bithérapie la plus logique et la moins coûteuse en effets indésirables est l'association lithium-lamotrigine. En cas d'intolérance, l'acide valproïque (Depakote)  peut être essayé avec l'une des deux molécules, en respectant la réduction de posologie initiale avec la lamotrigine.

Le cas des cycles rapides


(33) SCHNECK CD. Treatment of rapid-cycling bipolar disorder. J Clin Psychiatry, 2006, 67: 22-27.

(37) SUPPES T, OZCAN ME, CARMODY T. Response to clozapine of rapid cycling versus non-cycling patients with a history of mania. Bipolar Disord, 2004, 6: 329-332.

5 Acide valproïque : Dépakote ; carbamazépine : Tegretol




7 clozapine : Leponex (voir notre dossier sur la clozapine)


Les cycles rapides posent un problème majeur en clinique parce qu'extrêmement invalidants et déstabilisants pour le patient. La thérapeutique efficace reste malheureusement insuffisante (33). La plupart des travaux s'accordent pour donner un avantage aux anticonvulsivants dans cette indication. L'acide valproïque ou la carbamazépine 5 , voire dans certains cas leur association, représente la première ligne de traitement proposée malgré des résultats décevants.

Cependant, le problème des cycles rapides semble être moins la phase de maintenance que celle de retour à l'euthymie. Il est important de souligner que des avis d'experts rapportent des résultats satisfaisants d'une cure d'ECT 6 bien conduite (augmentation progressive de l'intensité, plutôt en unilatéral) et surtout prolongée, l'efficacité thérapeutique étant décalée dans le temps. En relais, une thymorégulation par antipsychotiques, et pour certains par clozapine 7, serait la solution optimale (37).


Arrêt et changement de thymorégulateur


L'arrêt d'un thymorégulateur se rencontre dans deux cadres distincts. Cette question se pose avec justesse si le diagnostic de bipolarité est incertain. En fonction des données d'anamnèse et du suivi, un patient devrait être référencé selon une échelle quantifiant l'incertitude du diagnostic de bipolarité et la prescription d'un thymorégulateur reconsidérée.

Dans le cas d'un patient nécessitant un thymorégulateur, une demande d'arrêt doit être entendue et ce partage d'ambivalence compris comme une preuve de confiance dans la relation thérapeutique. Elle doit déboucher sur une analyse fonctionnelle précise des circonstances ayant amené ce questionnement.

Est-ce la gestion des effets indésirables qui n'est pas optimale ? Un regard sociétal ou des proches qui devient trop pesant ? Une croyance erronée autour du médicament (dépendance) ou plus simplement l'annonce d'un signe avant-coureur d'un épisode thymique ? Dans le cas d'un trouble bipolaire avéré, la thymorégulation s'envisage sur plusieurs années et bien souvent à vie. Il faut rappeler les efforts et la patience que le patient a fourni pour réussir à aménager un équilibre d'ailleurs souvent précaire. La mise à jour des causes et conséquences de cette ambivalence permet le plus souvent d'en trouver une solution et peut éviter un arrêt. Le cas échéant, le thérapeute se doit d'avertir des conséquences positives et négatives d'un arrêt (« discuter l'ambivalence »), énoncer clairement son désaccord, mais néanmoins accompagner le patient dans son choix.

(27) MACHADO-VIEIRA R, MANJI HK, ZARATE Jr CA. The role of lithium in the treatment of bipolar disorder : convergent
évidence for neurotrophic effects as a unifying hypothesis. Bipolar Disord, 2009, : 92-109.

(30) MCKNIGHT RF, ADIDA M, BUDGE K et al. Lithium toxicity profile : a systematic review and meta-analysis. The Lancet, 2012, 11 : 1-8.
L'autre situation, de plus en plus fréquente, est la nécessité de suspendre un traitement en cas d'impossibilité de gestion des effets indésirables ou par une comorbidité  somatique rendant sa prescription périlleuse (c'est le cas des modifications pharmacocinétiques en lien avec une insuffisance hépatique ou rénale). En pratique, c'est souvent l'arrêt d'une lithiothérapie qui pose problème devant l'apparition d'une insuffisance rénale. L'arrêt du lithium s'accompagne le plus souvent d'une rechute dans les mois qui suivent. La compréhension de ce mécanisme reste inconnue, mais pourrait être en lien avec le potentiel neuroprotecteur du lithium (27).
Dans ce cas précis, nous ne pouvons que recommander au clinicien de faire le maximum, après avis néphrologique, pour garder la lithiothérapie, même à posologie très faible (30). L'insuffisance rénale dont l'étiologie est une néphropathie interstitielle par lithothérapie pourrait avoir été surestimée. Le choix de l'éviction du lithium doit donc être obligatoirement discuté avec le néphrologue. Dans le cas d'une indication d'arrêt, en accord avec le néphrologue, la prescription de lithium à dose très faible garderait un effet protecteur. A titre d'exemple, un comprimé de carbonate de lithium tous les 2 ou 3 jours pourrait être conseillé avec une surveillance biologique rapprochée (bimensuelle par exemple). Cette prescription peut s'accompagner d'une autre thymorégulation. Dans le cas d'un sujet âgé, cet arrêt coïncidant avec une évolution de la pathologie favorisant les épisodes thymiques dépressifs, la lamotrigine 3 est souvent le thymorégulateur retenu. Dans un contexte de comorbidités somatiques, l'indication d'ECT 6 de maintenance peut représenter une alternative judicieuse.


II. TRAITEMENTS ADJUVANTS




Il arrive qu'une bithérapie, voire une trithérapie thymorégulatrice, soit insuffisante pour assurer une euthymie sur le long cours. Les traitements suivants sont considérés avoir un effet bénéfique sur la prophylaxie de nouveaux épisodes.

Electroconvulsiothérapie (ECT)


(31) PETRIDES G , TOBIAS KG, KELLNER C H , RUDORFER M. Continuation and maintenance electroconvulsive therapy for mood disorders : review of the literature. Neuropsychobiology, 2011, 64: 129-140.
Au cours des cinquante dernières années, le développement de nouvelles médications et leur utilisation rationnée ont conduit à une diminution du recours aux ECT. A l'inverse, les progrès réalisés en anesthésie ont rendu son utilisation moins traumatique et plus sûre. Sans représenter une thérapeutique de première intention, l'ECT reste une thérapeutique pertinente, trop souvent décriée (31).

L'induction de troubles cognitifs (amnésie rétrograde) est proportionnelle au nombre de séances par semaine. Cet effet indésirable peut rendre son utilisation inconfortable dans la phase d'attaque du traitement (quand les séances sont les plus nombreuses), mais tend à s'estomper lors d'un traitement de maintenance où les séances sont espacées en général de 2 à 6 semaines. Une stimulation temporale unilatérale peut en limiter l'apparition. La fréquence des séances dépend de l'état thymique du patient et peut varier au cours du temps. Fréquemment, on retrouve une prescription médicamenteuse en complément des ECT de maintenance.

(16) HASKETT RF , LOO C. Adjunctive psychotropic médications during electroconvulsive therapy in the treatment of dépression, mania, and schizophrenia. J ECT, 2010, 26 : 196-201.
Il n'existe aucune contre-indication absolue d'association, mais la prescription d'anticonvulsivants (dont les benzodiazépines) est dans ce contexte plus difficile à manier. Au moment de la séance, le maintien du traitement à l'identique est sujet à débat. Certaines études font part d'un risque de complication (notamment de syndrome confusionnel plus important), d'autres d'une potentialisation bénéfique (16). Une position intermédiaire consiste à simplement suspendre la prise du traitement de la veille au soir et du matin ; ceci est particulièrement justifié pour les patients prenant de la clozapine 7 qui abaisse le seuil épileptogène. En résumé, les ECT restent un traitement de maintenance judicieux, probablement sous-utilisé. Les intolérances médicamenteuses majeures, un échappement thérapeutique, des cycles rapides représentent des indications privilégiées.

Place des antipsychotiques


8 L'auteur, dans un style diplomatique, indique clairement que l'usage régulier, hors épisode de manie, d'antipsychotiques nouveaux, est le résultat du marketing des laboratoires souhaitant introduire des produits très chers, sans que les études faites n'aient été suffisamment poussées ; et que l'on s'aperçoit aujourd'hui que ces antipsychotiques ont en commun avec les anciens neuroleptiques, certain effets indésirables majeurs

9 aripiprazole : Abilify ; olanzapine : Zyprexa ; quetiapine : Xeroquel / Seroquel

(23) LIAUW SS, MCINTYRE RS. Atypical antipsychotic tolerability and switching stratégies in bipolar disorder. Expert Opin Pharmacother, 2010, 11: 2827-2837.

(29) MC INTYRE RS, ALSUWEIDAN M, GOLDSTEIN B I et al. The Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) task force recommendations for the management of patients with mood disorders and comorbid metabolic disorders. Ann Clin Psychiatry, 2012, 24 : 69-81.

(40) WOODS SW, MORGENSTERN H , SAKSA JR et al. Incidence of tardive dyskinesia with atypical and conventional antipsychotic médications : prospective cohort study. J Clin Psychiatry, 2010, 71 : 463.

(38) TSAi A C , ROSENLICHT N Z , JUREIDINI J N et al. Aripiprazole in the maintenance treatment of bipolar disorder : a critical review of the évidence and its dissémination inco the scientific literature. PLoS Med, 2011, S : e1000434.
"Quelques essais cliniques ont permis une extension de l'autorisation de mise sur le marché ( AMM ) en France (...) Le risque serait identique pour les neuroleptiques classiques ou de seconde génération 8"


Depuis une dizaine d'années, la prescription des antipsychotiques dans le cadre d'un trouble bipolaire s'est intensifiée. Quelques essais cliniques ont permis une extension de l'autorisation de mise sur le marché ( AMM ) en France de certaines molécules jusqu'alors réservées aux pathologies psychotiques (aripiprazole, olanzapine, quétiapine) 9. L'espérance d'une meilleure tolérance des neuroleptiques atypiques par rapport aux neuroleptiques classiques en explique aussi en partie les raisons. Toutefois, une littérature grandissante (23) rend compte d'une mauvaise tolérance des patients bipolaires aux antipsychotiques. Cette tolérance varie en fonction du profil spécifique de chaque molécule. Le syndrome métabolique iatrogene reste le plus emblématique (29) et touche plus d'un tiers des patients bipolaires.

De plus, certaines études font part de l'augmentation de dyskinésies tardives chez le patient bipolaire. Le risque serait identique pour les neuroleptiques classiques ou de seconde génération (40) dans cette population et va poser un problème aux praticiens dans les années à venir. Les antipsychotiques ont toute leur place dans le cadre d'un traitement symptomatique d'un épisode maniaque. Certaines études amènent à penser qu'un trouble bipolaire de type I à prédominance maniaque répond favorablement à la prescription au long court d'un antipsychotique.

Toujours dans le cadre d'un traitement symptomatique, dans les dépressions résistantes à expression anxieuse ou délirante, la prescription à faible dose d'un antipsychotique est tout à fait bénéfique. Sur le long terme, la pertinence de sa poursuite comme traitement de maintenance doit être soigneusement évaluée en regard des effets indésirables. De récentes études avec les neuroleptiques atypiques considérés comme bien tolérés (et ayant l'AMM ) n'en recommandent pas la prescription sur le long cours (38).




Hormones thyroïdiennes


Les hormones thyroïdiennes périphériques (T3 et T4) sont impliquées dans la genèse de mouvements thymiques. Des symptômes dépressifs souvent assez frustes comme une asthénie, une hypersomnie 10, font partie des tableaux cliniques de l'hypothyroïdie mais aussi de l'hyperthyroïdie. L'interaction entre thymie et la glande thyroïde est inconnue. Pour certains, il s'agit d'un mécanisme central : les hormones thyroïdiennes augmentent la concentration de sérotonine cérébrale. Pour d'autres, l'effet est plus périphérique.
Par l'augmentation du métabolisme, elles sont à l'origine d'une énergétisation aspécifique qui est bénéfique à l'humeur. Il existe une troublante prévalence d'anomalies du bilan plasmatique thyroïdien chez les patients bipolaires. Certaines études font part de 60 % des patients présentant une hypoactivité thyroïdienne s'exprimant par une concentration des T3 et T4 dans la fourchette physiologique basse et une TSH {thyroid-stimulating hormone) dans la fourchette haute. La supplémentation thyroïdienne semble être une stratégie bénéfique dans ce cas précis. Certaines études la justifient par un retour à l'euthymie plus rapide. Pour d'autres, cette supplémentation n'est positive qu'en potentialisant le traitement d'une dépression résistante ou de symptômes dépressifs résiduels. L'étiologie de ces hypothyroïdies physiologiques est inconnue mais pourrait être auto-immune comme en témoigne la prévalence plus élevée des auto-anticorps antithyroïdes chez les patients bipolaires. En cas de supplémentation, la T3 (tri-iodothyronine) sera préférée et prescrite après un bilan cardiologique. La posologie est de 12,5 µg 11
11 µg : microgramme (un millième de mg)

(21) KELLY T , LIEBERMAN D Z . The use of triiodothyronine as an augmentation agent in treatment-resistant bipolar
II and bipolar disorder NOS. J Affect Disord, 2009, 116: 222-226.

(18) JOFFE R T . Hormone treatment of dépression. Dialogues Clin Neurosci, 2011, 13 : 127-138.
par jour, augmenté à 25 µg à J8 puis de 25 µg toutes les quinzaines en fonction de la réponse clinique et de la tolérance. La posologie habituelle varie entre 25 et 175 µg avec une posologie moyenne autour de 100 µg (21). Certaines études utilisant la T4 (lévothyroxine), dépassent ces posologies (allant jusqu' à 500 µg) pour obtenir une concentration supraphysiologique qui devrait être réservée aux épisodes dépressifs sévères et résistants. Pour certains auteurs, la posologie recherchée est alors celle permettant une augmentation de plus de 50 % de la concentration initiale en T4 (18). Rappelons que la demi-vie de ces hormones étant longue (6 à 7 jours), un dosage plasmatique ne sera pas réalisé avant 3 à 4 semaines. En cas d'échec, la décroissance devra être progressive pour éviter une hypothyroïdie iatrogène.


Agonistes dopaminergiques et psychostimulants


12 pramipexol : Oprymea Consulter la fiche

méthylphénidate : Ritaline, Quasym, Concerta Consulter la fiche

(1) AIKEN CB. Pramipexole in psychiatry : a systematic review of the literature. J Clin Psyciiiatry, 2007, 68 : 1230-1236.

(26) LYDON E, EL-MALLAKH RS. Naturalistic long-term use of méthylphénidate in bipolar disorder. J Clin Psychopharmacol, 2006, 26: 516-518.
Les agonistes dopaminergiques (pramipexol 12, 0,125 mg 3 fois par jour avec augmentation progressive jusqu' à 1 à 3 mg/j) et les psychostimulants (méthylphénidate 12, 5 mg, puis augmentation progressive jusqu' à 20 mg en 2 prises, matin et midi) sont occasionnellement utilisés en traitement adjuvant dans les dépressions unipolaires et bipolaires. Il existe un manque de données (1 , 26) concernant leur effet positif en tant que traitement de maintenance dans le trouble bipolaire. Néanmoins, la prédominance des symptômes dépressifs résiduels au cours du temps pose la question de leurs prescriptions. Il semble que leur action soit peu spécifique, ciblant le ralentissement psychomoteur pour les agonistes dopaminergiques, l'anergie et les troubles cognitifs pour les psychostimulants. Notons que le méthylphénidate est inscrit sur la liste des stupéfiants et sa délivrance en suit donc les règles spécifiques.

Compléments nutritionnels


Il existe une vaste littérature étudiant l'impact de compléments nutritionnels sur les troubles de l'humeur.

(32) SARRIS J, MISCHOULON D, SCHWEITZER 1. Omega-3 for bipolar disorder : meta-analyses of use in mania and bipolar dépression. J Clin Psychiatry, 2012, 73 : 81-86.

(36) SUBLETTE ME, ELLIS SP, GÉANT AL, MANN JJ. Metaanalysis of the effects of eicosapentaenoic acid (EPA) in clinical trials in dépression. J Clin Psychiatry, 2011, 72 :1577-1584.
Les omégas 3 (acide eicosapentaénoïque [EPA] et acide docosahexaénoïque [DELA]) sont des acides gras polyinsaturés à longues chaînes, synthétisés en petite quantité par l'organisme à partir d'acides gras essentiels (acide linolénique) dont l'apport limite la production. Plusieurs études font part du potentiel neuroprotecteur (32) des omégas 3 dans les troubles de l'humeur. Deux études contrôlées chez les bipolaires font état d'un taux de rechute moins élevé dans le groupe supplémenté versus placebo à 4 semaines et 3 mois.
Compte tenu du bon profil de tolérance, de nombreux cliniciens recommandent à leurs patients l'adjonction de gélules d'huile de poisson ou d'EPA. Par ailleurs de récentes méta-analyses (36) mettent en avant le rôle essentiel de l'EPA dans ces omégas 3. Dans les compléments disponibles, la proportion d'EPA devrait être supérieure à 60 p. 100 du total et son apport compris entre 200 et 2 200 mg/j. Il est important de vérifier auprès du patient que cette prescription ne soit pas comprise comme une substitution d'un thymorégulateur, mais bien d'un complément pouvant être utile pour renforcer la prévention des rechutes.

13  Nous déplorons que ce chapitre ne mentionne aucune étude malgré l'"abondante littérature". Les produits naturels adaptés à certains type de dépression devraient être pris autant au sérieux que les produits allopathiques, et les études mises en avant, pour recommander ou décommander de tels produits. Neptune
Notons que leur non-remboursement rend parfois leur utilisation plus délicate. Dans tous les cas, une alimentation enrichie en acides gras essentiels (poissons de mer froide comme le hareng, le maquereau, le saumon et les huiles de lin ou de noix) peut être conseillée.

Le millepertuis dont la molécule active est l'hypericum est un traitement actif dans le traitement des dépressions légères à modérées. Il a montré son efficacité contre placebo, mais pas contre antidépresseur 13. Son indication en tant que traitement de maintien reste limitée et ses multiples interactions incitent à la prudence.

Antagonistes glutamatergiques


(42) 4ZARATE C, BRUTSCHE NE, IBRAHIM L et al. Replication of ketamine's antidepressant efficacy in bipolar dépression : a randomized controlld add-on trial. Biol Psychiatry, 2012, 71 : 939-946.

14 Ketamine : anesthesique utilisé normalement pour les opérations chirurgicales ; Consulter la fiche

Memantine : Ebixa : médicament symptomatique prescrit, avec peu d'efficacité, pour la maladie d'Alzheimer atteignant un stade avancé. Consulter la fiche
Une littérature grandissante s'intéresse au potentiel antidépresseur des agents modulant la transmission glutamatergique comme la kétamine 14. Ses molécules sont prometteuses dans le traitement des dépressions résistantes, notamment bipolaires (42). Une récente étude ouverte met en avant le rôle prophylactique des rechutes de la mémantine 14 comme thérapeutique adjuvante dans le traitement de maintenance, en cas de polarité maniaque prédominante. Bien qu'encourageant, ces résultats doivent être confirmés par des études contrôlées.



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