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Rapports sexuels entre psys et patient(e)s : histoire d'une omerta - Jean-François Marmion - Le Cercle Psy

Par Neptune 

le 07/12/2013 

0 lectures

Avant-propos

Mise à jour du 30/03/2018

Nous reproduisons ici l'un des seuls articles jamais publiés en France sur la question... Enfin une revue sans tabous, sans partis pris, et rédigée par des professionnels, lève le voile et tente de parler du problème.

Les cas exposés sont toutefois extrêmes. Nous préférons, sur Neptune, parler de la "violence ordinaire", celle qui fait tout autant de ravages et détruit tout autant, sans pour autant, en apparence, sentir autant le soufre et l'excès.

Au-delà de l'information, nous avons engagé et gagné une action en justice (a) et montrons dans nos articles pourquoi le passage à l'acte par un psy (ou un infirmier en psychiatrie) est particulièrement grave, et pourquoi la loi, et en particulier les déontologies inscrites dans le Code de la Santé Publique, doivent changer sur ce point précis, et devenir claires et applicables sans discussion.

Un psychiatre commet en effet un inceste psychique car il agit sciemment en profitant du "transfert" et en prétextant le "contre-transfert".  

L'Ordre National des Médecins est en cause, et devrait se placer en tête d'une modification de la loi. Bien que la Chambre Nationale ait pu faire exceptionnellement appel de décisions trop clémentes des Chambres Disciplinaires Régionales, pressées d'étouffer les affaires locales, parfois c'est la chambre nationale qui réduit les peines déjà minimes, de quelques semaines de suspension pour un viol, etc.. Les appels entraînent de très longues procédures, souvent décourageantes pour les victimes. Le cadre légal est trop vague en France, alors que les USA ont jugulé le phénomène depuis les années 1980, à un tel point qu'on y parle d'excès de judiciarisation, et de paralysie de psychiatres terrorisés. Mais nous en sommes encore loin.

Rapports sexuels entre psys et patient(e)s : histoire d'une omerta


par Jean-François Marmion, Le Cercle Psy, 2012

10 % des psys auraient déjà couché avec un patient ! Ou le plus souvent, une patiente... Qui sont-ils ? Que peuvent faire les patient(e)s ? Enquête sur un tabou persistant de la profession.

Adeline ne savait pas dire non aux hommes. Pour apprendre à se faire respecter, elle consulta un psy... Mais coucha avec. L'individu en question était un psychologue du travail rencontré à l'ANPE, auquel elle demanda s'il pourrait l'aider à résoudre ce problème personnel. Comme il n'était pas missionné par l'ANPE pour cela, il posa comme condition de voir Adeline en dehors de ce cadre - en l'occurrence dans un café. Dont acte. Elle lui raconte alors que si elle s'autorise à avoir des rapports sexuels avec n'importe qui, y compris des hommes qui lui déplaisent, c'est peut-être parce qu'elle a été victime d'inceste. En réponse, le psy lui propose une thérapie basée sur la photographie : il est question de reconstituer le contexte des abus sexuels, de mettre en scène les événements pour mieux les contrôler, en s'en distançant grâce aux clichés. "On a travaillé sur la représentation de l'inceste, explique Adeline. Il a dit que peut-être la photo m'aiderait. C'est-à-dire qu'il fallait considérer ma séduction comme un phénomène d'ordre esthétique, et non plus moral. Le sexe a été très culpabilisé chez moi. Il fallait que je mette en scène ma sexualité de façon détachée."

Elle le voit venir avec ses gros sabots, mais l'accueille néanmoins chez elle. Il lui fait jouer le rôle d'une petite fille, l'hypnotise à moitié, adopte le rôle du père... On devine la suite. Quelques jours plus tard, il la rappelle, surpris qu'elle ne se manifeste plus. "Alors ? Boudeuse ?", demande-t-il. Elle lui raccroche au nez. Pas question de porter plainte : inutile d'avouer qu'elle s'est laissée avoir de manière aussi grossière. Et puis, comment prouver les événements ? "De toute façon, conclut Adeline, c'est ma faute."

Des chiffres impressionnants


Les relations sexuelles entre psys et patient(e)s constituent un sujet tabou. Les livres consacrés à la question se comptent quasiment sur les doigts de la main. Dans l'un d'eux (1), la psychanalyste Louise de Urtubey (décédée en 2009) se fait l'écho d'une explication avancée de temps à autre : si les praticiens du divan, pour ne citer qu'eux, présentent des scrupules à évoquer le sujet, ce serait "pour ne pas effrayer les jeunes psychanalystes en formation."

Excuse d'autant plus curieuse que, remarque l'auteure, les jeunes en question ont une moyenne d'âge de 40 à 50 ans ! Semblables incartades sont pourtant une vieille histoire, dont certains cas s'avèrent bien documentés (voir encadré ci-dessous). Les privautés ponctuelles ou liaisons au long cours, dénoncées comme abus de pouvoir, nuisance à la thérapie et même fraude (la patiente croyant parfois être soignée ainsi), finirent par être suffisamment répertoriées pour se voir explicitement interdites par des codes de déontologie américains, notamment en psychiatrie (1973), psychologie (1977) et psychanalyse (1983). Les relations sexuelles initiées ou acceptées par les psys sont proscrites même après la fin d'une thérapie, dans des délais variables suivant les codes.

Ces pratiques ont-elles disparu ? N'étaient-elles que les dommages collatéraux d'époques héroïques où, en psychanalyse ou ailleurs, les thérapeutes n'avaient pas compris ni formalisé certaines règles de bonne conduite ?

Hélas, la chair est faible, en notre siècle comme au précédent...
Difficile pour autant d'évaluer la fréquence de tels actes. Les psys ont très longtemps freiné des quatre fers sitôt qu'était envisagée une enquête sérieuse.

Aux États-Unis, les fonds nécessaires pour pouvoir questionner des milliers de praticiens n'étaient pas débloqués, les enquêteurs potentiels se retrouvaient menacés d'exclusion par leur organisation professionnelle, et les quelques études abouties malgré tout étaient blackboulées par les revues (2).

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(1) Si l'analyste passe à l'acte, Louise de Urtubey, Puf, 2006.

Table des matières


  • Les règles à respecter
  • L'agir dans la situation analytique : acte manqué (fortuit ou symptomatique) et action comme forme de se souvenir
  • L'agir dans la situation analytique : l'énaction
  • L'agir dans la situation analytique : le passage à l'acte par dépassement des limites chez l'analyste et/ou chez le patient
  • Les passages à l'acte sexuellement transgressifs dans la cure analytique
  • Les transgressions incestueuses dans la cure analytique
  • Des circonstances favorisant le passage à l'acte sexuel : l'amour de transfert
  • Des circonstances favorisant le passage à l'acte sexuel : le contre-transfert érotique
  • Pourquoi ces dévoiements ?
  • Sur la pulsion de destruction
  • Des auteurs du passage à l'acte : qui sont-ils ?
  • Des auteurs du passage à l'acte incestueux ; la réaction thérapeutique négative chez l'analyste

Susan Baur - relations sexuelles entre psychiatres et patients
(2) Susan Baur, Les relations sexuelles entre psys et patients, Payot, 2000.

Psychothérapie vigilance
(3) Association Psychothérapie Vigilance


C'est principalement sous la pression de cliniciennes féministes et de victimes que la situation, dans les années 70, a commencé à évoluer. Depuis, quelques tendances ont pu se dessiner, aux Etats-Unis, en France, au Québec par exemple, faisant état de chiffes saisissants : de 5 à 10 % des psys auraient eu au moins une relation "inappropriée", selon le terme consacré, avec un(e) client(e).

Environ 90 % de ces relations concerneraient un psy homme et une patiente. 90 % des victimes, présenteraient des séquelles. Louise Urtubey, pour sa part, avait recensé une vingtaine de cas en 40 ans. L'association Psychothérapie Vigilance (3), qui traque les abus de tous ordres dans le cadre psychothérapique, reçoit en moyenne un signalement par mois. "Nous n'avons pas de statistiques vraiment scientifiques là-dessus, et il est clair que nous n'en aurons jamais.", estime Guy Rouquet, son président. Entre les psys qui, même anonymement, préfèrent ne pas se vanter de leurs écarts, et les patient(e)s qui, telle Adeline, se refusent à porter plainte, on ne voit guère comment affiner ces chiffres. Ils pourraient d'ailleurs être bien inférieurs à la réalité. La preuve : la moitié des praticiens répondant à une enquête de 1983 avaient déjà reçu au moins un patient faisant état de rapports sexuels avec un précédent thérapeute (2) !

Une pratique vieille comme la psychothérapie


Les incartades de certains psys avec leurs patient(e)s ne datent pas d'hier. On sait qu'entre autres liaisons, Carl Jung, si marié fût-il, s'enticha pendant quatorze années explosives de sa patiente Sabina Spielrein. Que Sandor Ferenczi, qui embrassait régulièrement ses patientes, s'éprit de l'une d'elles, puis de sa fille, se demandant laquelle il épouserait. Il opta pour la mère, sur l'injonction de Freud, qui n'avait pas besoin de ce genre de publicité pour une psychanalyse déjà accusée de tous les maux avec son intérêt théorique pour la sexualité.

On pourrait mentionner certaines privautés d'autres analystes comme Wilhelm Stekel, Oskar Pfister ou Ernest Jones, qui fonda la Société britannique de psychanalyse, d'où fut exclu Masud Kahn pour les "contacts" répétés avec ses clientes. Sans oublier Otto Rank et René Allendy, qui succombèrent au charme de la même femme, Anaïs Nin, et bien sûr Wilhelm Reich, qui commença par frotter les fesses de ses patientes avant d'élaborer une théorie, abondamment illustrée par la pratique, de libération thérapeutique de l'énergie sexuelle.

Mais ne blâmons pas que quelques psychanalystes.

Dans les années 1960, la station balnéaire d'Esalen, en Californie, fut le centre d'expérimentation d'une multitude de thérapies incluant volontiers sexe, drogues et mysticisme. L'un des psys de cette pépinière, le fondateur de la Gestalt-thérapie (11), Fritz Pearls, ne dédaignait pas embrasser ses patientes, tel jadis Ferenczi, et entretint une liaison avec l'une d'elles.

Les risques du métier ?


Même lacunaires, ces enquêtes semblent confirmer ce que suggèrent l'intuition et les stéréotypes - à savoir, dans la majorité des cas, une relation dissymétrique entre un homme mûr et sûr de lui et une femme plus jeune et fragilisée. Suivant quels mécanismes ? "On se déshabille intérieurement pendant une psychothérapie, souligne Guy Rouquet. Ces longues discussions qui se renouvellent peuvent instaurer un climat propice aux dérapages." Dérapages que l'on savait pourtant possibles dès la naissance de la psychanalyse. Avec le praticien installé dans le dos du patient, Freud avait d'ailleurs aménagé le dispositif de la cure pour limiter au maximum les effets de suggestion, mais aussi pour maintenir une distance physique avec le patient et s'assurer de la prééminence de la parole. Pour les psychanalystes, au cœur du dispositif thérapeutique se trouve la névrose de transfert, c'est-à-dire la réactualisation par le patient, sur la personne du thérapeute, de la relation infantile à l'origine des problèmes actuels. Par exemple, une patiente peut ressentir à l'égard de l'analyste la même haine, à son insu, qu'à l'égard de son père... ou le même amour œdipien.

Au praticien d'être vigilant et de repérer les effets du transfert, mais aussi du contre-transfert (son propre ressenti envers la patiente). "Tout dire et ne rien faire, nous ne le répéterons jamais assez", résume Louise de Urtubey. Alors, tout cela n'est-il qu'une affaire de psys imprudents, mal préparés, voire bousculés dans leur intégrité par une tentatrice qui leur fait, sciemment ou non, perdre momentanément la raison ? Les risques du métier, en quelque sorte ?

Ce serait trop simple. "Quand ils sont pris en faute, ils disent que la personne était consentante. Mais ils oublient le cadre thérapeutique et s'exonèrent à bon compte de leurs responsabilités. Ce n'est pas recevable", raconte Guy Rouquet. "On ne peut jamais parler du consentement d'une patiente face à une faute éthique du professionnel", confirme la psychologue québécoise Lyse Frenette, qui a consacré une thèse aux femmes abusées par leur psy (4). "Voyons donc ! C'est lui qui connaît les risques, pas elle. Le serment d'Hippocrate ne date pas des codes de déontologie des psychologues : on sait depuis des millénaires qu'on ne doit pas abuser de la confiance de quelqu'un qu'on soigne."

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L. Frenette, Ces femmes qui ont consulté des manipulateurs
(4) L. Frenette, Ces femmes qui ont consulté des manipulateurs, Editions du Fada, 2008.

Une relation à sens unique


Dans un livre témoignage (5), Angélique Bègue raconte qu'elle est encore mineure quand elle est abusée par un psy autoproclamé. Séances d'hypnose un peu trop tactiles, conversations dans des cafés, fascination pour un homme de culture qui daigne la prendre au sérieux sans la juger, et voilà la jeune fille embarquée dans une liaison qui durera... dix-sept ans. "Je l'ai vu comme un magicien, quelqu'un qui m'aimait, qui allait remplacer ma famille", explique-t-elle. Angélique devient même amie avec la maîtresse officielle du thérapeute, qui finit par lui dévoiler un secret : dans l'agenda du psy, les patientes dont le nom apparaît au crayon à papier assouvissent son appétit sexuel. Les séances durent alors  deux heures. Angélique et les autres continuent à payer les "thérapies". En liquide. "La femme idéalise son thérapeute, mais ne sait rien de lui, remarque Lyse Frenette. Elle le voit toujours dans son rôle, dans un contexte bien précis. Comment peut-elle savoir qui il est ? Elle n'a pas d'informations sur lui, alors que lui en a beaucoup sur elle. Et puis, pour ces psys, la domination masculine est dans l'ordre des choses. Beaucoup ne savent pas faire la différence entre intimité et sexualité. Certains seront même persuadés de faire du bien à ces femmes... Mais si c'est si efficace, pourquoi ne pas "soigner" ainsi les patientes laides, ou les patients homosexuels ?"
Angélique Bègue, avec Chris Heddesheimer, Abusée par mon psy, L'Arbre, 2008
(5) Angélique Bègue, avec Chris Heddesheimer, Abusée par mon psy, L'Arbre, 2008.
"On sait depuis des millénaires qu'on ne doit pas abuser de la confiance de quelqu'un qu'on soigne"

La psychanalyste Monique Lauret (6) expose quant à elle le cas d'une femme qui se retrouva enceinte après quatre ans de relations trop intimes avec son psychanalyste. Celui-ci lui ordonna de se faire avorter. Louise de Urtubey relate une histoire analogue : une des ses toutes premières patientes avait été initiée à la sexualité avant son mariage par son psychiatre. Enceinte un mois avant la cérémonie, le psy lui avait fait subir un avortement sans que le fiancé soit au courant. Autres cas cités dans son livre : une patiente qui se retrouve au lit avec son psy et sa femme "qui la déflora avec ses doigts", une autre qui accompagne son thérapeute chez des prostituées... "Il existe aussi des thérapeutes vivant au crochet d'une femme qu'ils ont poussée au divorce, et qui est parfois leur unique patiente", indique Guy Rouquet. Ce dernier précise encore que les victimes, d'après les témoignages qu'il reçoit, sont souvent des femmes qui ne travaillent pas, dont les enfants ont grandi, qui cherchent à combler le vide de leur existence... et dont le mari bénéficie de revenus confortables.

Les femmes thérapeutes aussi...


La configuration psy homme / patiente, de loin la plus fréquente, n'est pourtant pas la seule. La psychologue Susan Baur raconte comment une thérapeute couchait avec un schizophrène pour que cette "expérience corrective émotionnelle" le sorte d'un stade infantile.

Louise de Urtubey cite une patiente qui devait renouveler chaque année, à la Pentecôte, des vœux de fidélité et chasteté à sa psychanalyste, ou un patient qui, après un divorce, fut convaincu par son psy d'essayer les hommes en sa compagnie.

En France, de 1997 à 2009, un tiers des quelque 133 demandes adressées par des particuliers non psychologues à la CNCDP (Commission nationale consultative de déontologie des psychologues) émanaient de patients, de leurs proches, ou le plus souvent de leurs parents, à propos de thérapeutes suspectés de pression pour la poursuite d'un traitement, harcèlement, tentatives de séduction ou passage à l'acte (7). Parmi les avis consultables sur le site de la CNCDP ( 8 ), six concernent des relations sexuelles entre psys et patients : or, quatre de ces psys sont des femmes. L'une était accusée d'entretenir une relation avec une patiente, sans avoir interrompu la thérapie. Une autre, d'avoir commencé une liaison amoureuse avec l'ex-mari d'une patiente, alors qu'elle continuait à suivre cette dernière. Une troisième, d'avoir séduit là encore un ex-mari, en ayant utilisé des renseignements donnés par la femme lors des consultations épisodiques. Pour couronner le tout, la psy avait aussi, autrefois, pris en charge leur fils. La CNCDP rappelle les points du Code de déontologie du psychologue définissant certaines règles de bonnes conduites pour ce dernier. Mais le Code, d'ailleurs en cours de révision, ne mentionne pas explicitement les relations sexuelles...


(6) Monique Lauret, Les accidents du transfert de Freud à Lacan, Champ social, 2006.

(7) F. Coutou-Coumes et A.-M. Fontaine, "Les demandes adressées à la Commission nationale consultative de déontologie des psychologues", Le Journal des psychologues, n° 269, 2009.

( 8 ) www.cncdp.fr
Souvent, quand elles se laissent embarquer dans une liaison durable, les patientes, selon Guy Rouquet, se laissent faire jusqu'à ce qu'elles s'aperçoivent qu'elles ne sont pas aimées, pas privilégiées, et que le psy entretient des relations sexuelles avec d'autres femmes. Toutefois, beaucoup des témoignages parvenant à Psychothérapie Vigilance n'émanent pas des victimes, mais de leurs proches : leur famille, ou le cas échéant leur mari. Et s'attaquer à l'abuseur ne règle aucun problème sur le moment. Quand Angélique Bègue a enfin dit non à son psy, qui entendait la fouetter durant une soirée sado-masochiste, et qu'elle l'a quitté, celui-ci a pris les devants en claironnant partout qu'elle était devenue folle. Tout le monde l'a lâchée. Et lorsqu'elle a voulu raconter son histoire à un autre psy, il l'a écoutée sans un mot, puis a conclu la séance en indiquant qu'elle n'était pas obligée de revenir.

Porter plainte ? Pas si simple


Que risquent les psys fautifs ? En 2007, un psychiatre libéral brestois, accusé d'avoir abusé d'un adolescent durant des séances de relaxation, a été condamné à douze ans de réclusion. Mais par défaut : il s'était volatilisé deux ans plus tôt, alors que deux nouvelles plaintes venaient d'alourdir son dossier. Interpellé après cinq ans de cavale thaïlandaise, sa peine a été confirmée. Il décrivait ses victimes comme des menteurs ou des psychotiques manipulés par la police. Il est sous le coup d'une interdiction d'exercer à vie. Autre exemple, fin 2010, l'Ordre des psychologues du Québec a radié un psy pour une période de deux ans, avec une amende de 2 000 $ à la clef. Au terme de sa radiation, le praticien ne sera plus autorisé à recevoir des femmes en psychothérapie. Motifs : il aurait prodigué à deux patientes des massages contraires "aux principes scientifiques généralement reconnus à la psychologie", et entretenu des relations sexuelles avec la première, qui s'est retrouvée contrainte d'avorter. Sa seconde victime était une de ses étudiantes : ce thérapeute était en effet chargé de cours à l'université du Québec à Trois-Rivières. Dans un premier temps, l'établissement n'a pas pris de sanction, préférant laisser le choix aux étudiants d'assister à l'enseignement ou non. Aucun n'a fait faux bond. Après quelques semaines d'atermoiement, les cours ont tout de même été suspendus.

Pour quelques-uns qui sont condamnés, combien passent entre les mailles du filet ? Certes, une loi du Wisconsin impose par exemple à tout psychothérapeute indélicat de se dénoncer aux autorités, même si le patient ne souhaite pas porter plainte. On peut cependant douter du zèle des praticiens à s'y plier... M. de La Palice énoncerait, avec pertinence, qu'il n'y a pas de sanction pénale sans procès, ni de procès sans dépôt de plainte. Or, on connaît les difficultés des victimes d'abus sexuels pour dévoiler ce qu'elles ont subi, dénoncer et requérir la Justice. Les victimes des psys ne dérogent pas à la règle. "On voit une évolution avec quelques affaires portées en justice, note Guy Rouquet, et qui concernent des psychiatres et professionnels de la santé. A défaut, l'Ordre des médecins peut enregistrer des signalements, mais tant qu'il n'y a pas de plainte, c'est insuffisant." Or, se résoudre à déposer plainte prend souvent beaucoup de temps, sachant que les délais de prescription jouent en faveur de l'abuseur.

Sexe, drogue et thérapies


Dans le registre choral, Guy Rouquet, président de Psychothérapie Vigilance, signale des pseudo-thérapies de groupe tournant à la partie fine : "Il faut par exemple se désinhiber au bord d'une piscine privée, en nu intégral, et se toucher, parfois sur fond de spiritualité, de massage, voire de drogue. Tout en prétendant faire la part des choses, on peut demander à la personne de se masturber devant les autres. Certains endroits deviennent de véritables lieux d'échangisme et d'expériences sexuelles diverses. L'éventuel sentiment de culpabilité est désamorcé, puisqu'on dit que c'est une thérapie. Certains maîtres à penser enseignent que ce n'est pas si grave que ça, et que rien ne prouve que le sexe avec ses patients ne soit pas bénéfique, en s'appuyant sur de soi-disant études américaines dont ils ne citent pas les sources. L'un d'eux, toujours sans références, relate même dans un livre la coutume supposée d'îles du Pacifique selon laquelle, quand un petit garçon se fait mal en tombant, il est courant qu'un passant le masturbe pour le consoler."


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"Quand une personne est à ce point dévastée, poursuit Guy Rouquet, il faut du temps pour retrouver ses esprits. Analyser la situation, c'est la revivre. C'est douloureux. Parler, c'est se libérer mais raviver des plaies, avec le regard des proches, le sentiment de culpabilité, la honte d'avoir été escroquée..."

"Quand on parle de relation sexuelle durant une thérapie, précise Lyse Frenette, on parle de viol sur le plan légal, et d'inceste sur le plan psychologique. Les séquelles sont de toute façon considérables."

"J'ai payé quelqu'un pendant dix-sept ans pour qu'il me baise, témoigne Angélique Bègue. J'étais son objet, à lui et à sa compagne. J'ai tellement caché cela à tout le monde de peur de le perdre, qu'aujourd'hui je ne parle pas beaucoup. Porter plainte ? Il faut que je dise que ça existe, mais j'aimerais tourner la page. Plusieurs femmes m'ont contactée suite à mon livre. Elles sont complètement détruites, toujours à ressasser ce traumatisme qui ne part pas. Un jour, les autres victimes de mon psy viendront me voir pour qu'on agisse et qu'on l'empêche d'exercer. Je sens qu'elles vont venir toutes seules. Mais il faut du temps."

Le plus efficace, pour Guy Rouquet, est bel et bien "que plusieurs personnes, qui ne se connaissent pas au départ, soient amenées à se plaindre du même individu." Car la plainte déposée, le parcours du combattant n'est pas fini : le psy a beau jeu de nier en criant à la diffamation, ou de reconnaître les faits en expliquant qu'il n'y est la pour rien, et que la victime était non seulement consentante, mais volontaire. D'où l'utilité de témoignages indépendants et concordants.

"Je consulte une psychiatre pour apprendre à être enfin moi-même, conclut Angélique Bègue. J'ai beaucoup de mal à lui faire confiance, bien que ce soit une femme. Pourtant, je vois la différence entre une vraie analyse et une autre complètement pervertie." Son ancien psy a échappé de peu à une plainte pour pédophilie. "Il continue son petit bonhomme de chemin. Il s'est manifesté par des méchants commentaires sur les sites qui vendent mon bouquin. Il est présent. Il doit avoir tellement peur... J'entends parler de lui dans les médias lorsqu'il participe à une manifestation ou qu'il sort un livre... sur l'éthique de la psychothérapie, d'ailleurs !"

Un tel sujet gêne toujours en France


Si des langues se délient, si des plaintes sont déposées, si des romans lèvent le tabou (9), nous sommes loin de la multiplication des procès observables aux Etats-Unis depuis les années 1980. De même que les faux souvenirs induits par des thérapeutes (10) ont provoqué une avalanche de poursuites judiciaires, les accusations d'abus sexuels contre les psys sont devenus monnaie courante... voire excédentaire ?

"Les auteurs de livres de développement personnel ont très vite compris que l'abus sexuel est actuellement, aux États-Unis, l'explication la plus acceptable d'un état de déprime, écrit Susan Baur. Ils ont gagné des millions de dollars en racontant aux femmes comment détecter les signes d'abus et passer de la situation de victime à celle de survivante. Des avocats, des thérapeutes, des éditeurs, des représentants des droits de l'homme gagnent leur vie avec les abus sexuels et les différends qui opposent thérapeutes et patients."
Quand on sait qu'un patient américain a porté plainte contre sa psy parce qu'elle portait des jupes courtes (plainte néanmoins rejetée), il n'est pas impossible qu'on voie un jour des abus partout... Mais pour l'heure, nous restons solidement ancrés dans l'excès inverse.

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Roman de notre collaboratrice Sarah Chiche, L'emprise, Grasset, 2010
(9) Voir par exemple le roman de notre collaboratrice Sarah Chiche, L'emprise, Grasset, 2010.

(10) Voir p. 59 et Le Cercle Psy n° 2, p. 84-89.

(11) Gestalt-thérapie (de l'allemand Gestalt, "essence, forme") : mise au point par le psychanalyste allemand Fritz Perls au cours des années 50 et 60, la Gestalt-thérapie est une approche globale de l'individu qui prend en compte cinq dimensions de l'être : physique, émotionnelle, mentale, sociale et spirituelle. Parfois considérée comme une "philosophie existentielle", elle est fondée sur l'apprentissage de l'"ici et maintenant".



Dernière édition par Neptune le 23/7/2018, 12:54, édité 3 fois

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Copper Lebrun

Par Copper Lebrun

 1/4/2018, 18:34
Voici les quatre critères du syndrôme de Stockholm si je me souviens bien :

_la victime se trouve dans une situation paniquante, un sentiment de péril mortel
_l'agresseur lui manifeste des signes tangibles et concrets de bienveillance
_situation de captivité matérielle de la victime
_situation de captivité psychologique de la victime

... oui, donc, dans le cabinet du psy, concernant une personne qui revit de façon brutale un traumatisme ancien (parfois avec idéation suicidaire) nous avons potentiellement les quatre critères réunis... d'où la nécessité d'une vigilance qui est loin d'être comprise

Merci pour ce document

Bonjour, j'ai porté mon plainte pour viol (et autres infractions) contre mon psychiatre. Celui-ci a (j'en ai la conviction) fait d'autres victimes et je les cherche... Voilà pourquoi j'ai posté sur "balancetonporc" le récit du premier viol.

Je vous le livre ici. Dans l'espoir que celui-ci fera émerger la parole des victimes du même homme, qui exerce en toute impunité depuis plus de 20 ans, dans le même cabinet, sans assistante.

Premier passage à l’acte sexuel le 30 juillet 1998. C’était il y a 20 ans… mais pour moi, c’était hier! C’est toujours hier! Malheureusement. J’avais débarqué trois ans plus tôt, à 24 ans, dans le cabinet de ce psychiatre. Déprimée. Surprise!… ce médecin m’a écoutée près d’une heure. Cela ne m’était jamais arrivé. Pensant que j’étais désormais soutenue, je me suis laissé aller à exprimer mon vécu dépressif. La prescription d’antidépresseurs a donc été immédiate, quelques jours plus tard. Cette prescription était accompagnée d’une carte professionnelle avec un bref message d’encouragement. Je me suis dit: en plus d’être sérieux, il est humain…. Durant trois années complètes (je vais vite), à raison d’une séance hebdomadaire pendant 2 ans et de deux séances hebdomadaires ensuite (je n’ai jamais su pourquoi, j’ai fait confiance), ce psychiatre a tout appris de moi, de mon mari, de ma famille. Il connaissait bien mes forces et mes faiblesses. Il sait mon combat contre l’antisémitisme et le racisme: sa peau noire est un atout de ce point de vue (il est du bon côté de l’Histoire; il me fait lire « Peau noire, masques blancs » de Franz Fanon). De lui (plus âgé que moi), en revanche, je ne connaissais rien. J’ai supposé qu’il était marié avec enfant(s) et épanoui dans sa vie: il donnait des conseils (ex: « vous aurez un enfant quand vous serez prête à le perdre »), je n’imaginais donc pas qu’il puisse être un homme seul et déséquilibré. Ma confiance s’est renforcée au fil du temps, aidée en cela par une croyance partagée par le plus grand nombre « les médecins ne peuvent vouloir détruire leurs patients ». J’irais mieux, c’était sûr. Voilà pourquoi quand sont venus les tests, je ne les ai pas alors perçus comme tels – ne sachant pas que le salopard suivait un scénario précis. Premier test. Juin 1998. Lors d’une séance, il me montre à sa gauche le sol et me dit « j’aimerais vous avoir là, accroupie, pour voir si vous mouillez »… Je me suis tue. J’ai pensé qu’il avait simplement dérapé et je me suis sentie aussi humiliée (être ainsi accroupie… franchement, j’y avais jamais pensé). Pas de quoi remettre en cause 3 ans de suivi. La séance suivante, ce psychiatre s’est montré normal. Deuxième test: une tape sur la fesse juste au moment de quitter la salle de consultation. Le dossier médical (que j’ai récupéré à l’automne 2015) mentionne que la séance suivante, nous en avons discuté. Il y est noté que je me suis sentie humiliée. Eh oui, je me suis dit « il veut voir si j’ai la fesse ferme » et pouvoir pouffer de rire. Au lieu de remettre en question sa déontologie, je n’ai vu que mon nez au milieu de la figure, mes défauts, etc. Comme auparavant, il est revenu à la normale. Nous arrivons au mois de juillet 1998. Ce psychiatre sait que je suis angoissée en l’absence de mon mari (c’est mentionné dans mon dossier médical), que je n’envisage pas la fin de ce suivi avant la soutenance de ma thèse (1999-2000) ni avant de pouvoir me présenter à l’agrégation de droit public (soit pas avant 2002!!!!); il sait que j’aime mon mari et que je veux des enfants avec lui (25% des consultations sont consacrées à la maternité; et j’aurai 3 enfants). Bref, il sait que je ne souhaite pas tromper mon mari, que je ne suis pas une aventurière. Ah, certes, je suis une sensuelle qui rêve de sexualité épanouie. Comme beaucoup de jeunes femmes de 27 ans (c’est mon âge en juillet 1998). Que fait-il alors?? Il attend que mon mari quitte Paris (et que j’y sois seule) et passe à l’attaque. Le mardi 28 juillet 1998 (je précise qu’il n’a pas d’assistante), alors que je venais de lui dire que j’avais passé une excellente semaine de vacances avec mon mari à tous points de vue (c’est écrit dans le dossier médical), ce psychiatre s’est soudain levé, sans un mot ni un regard (hormis un bref coup d’oeil à sa fenêtre – il y a un vis-à-vis en raison d’une cour intérieure), m’a rejoint et a attrapé mon visage avec ses deux mains, m’a embrassée et est retourné s’asseoir. Mes mains sont restées le long de mon corps. Assis à nouveau à son bureau, je n’ai pu articuler que les mots suivants (mais pas anodins): « qui est-ce que je viens d’embrasser? ». Il a répondu sans regard et d’un ton ferme « moi »…, puis, chèque et feuille de soins échangés, il a dit « on va laisser reposer; on se voit jeudi ». Avec le recul d’aujourd’hui, je comprends qu’il n’a pas obtenu ce qu’il pensait obtenir. Les garçons que j’avais embrassés (avant mon mari), je les avais tous embrassés en mettant mes mains derrière leur cou. Malheureusement pour moi, au lieu de reculer devant ma réaction, le psychiatre a aggravé la pression et achevé la déstabilisation amorcée le jeudi suivant – 30 juillet 1998 – en me disant d’emblée « compte tenu de ce qui s’est passé, je ne peux plus être votre médecin ». Il avait tout prévu: il a immédiatement ajouté qu’il avait prévenu une collègue de Sainte-Anne, exerçant en libéral, qu’elle prendrait le relais. C’est bien simple, j’ai eu l’impression que tout mon sang partait dans mes pieds. Pour utiliser une image: imaginez-vous dans un avion, le pilote appuie sur un bouton qui ouvre sous vos pieds une trappe; vous vous retrouvez dans le vide; puis au moment le pire, une main se présente; c’est celle du pilote qui a ouvert la trappe, mais vous l’attrapez!! Dans ma tête, à ce moment-là, il ne se passe rien. Absolument rien. C’est vide. Blanc total. Pas d’activité. Quand il me dit alors « venez sur mes genoux », j’y vais. Le pantin, il en fera ce qu’il veut. Le soir même, toujours sans explications (pas de « je vous aime », « je vous trouve belle », rien, rien, silence et action), il m’imposera les rapports sexuels qu’il projette en réalité depuis de longs mois. Je me rappelle où je me suis retrouvée dans le lit, dans quelle position; je me rappelle son hurlement (personne n’avait jamais hurlé ainsi à mon oreille; je me suis dit « ce doit être pénible d’avoir un voisin comme cela »; impossibilité de toute autre pensée); pas de plaisir, pas de déplaisir, juste rien; il va s’endormir, moi pas; il se réveillera et exigera une fellation au petit matin (beurk, j’ai toujours détesté cela au petit matin, surtout avec les séquelles d’une éjaculation la veille); il exigera aussi une levrette sur sa terrasse en plein soleil, alors qu’il y a un vis-à-vis. Merde, moi qui ai toujours eu des complexes! Raccompagnée à l’angle de ma rue, j’aurai une forte montée d’angoisse (c’est le seul sentiment fort que j’ai ressenti entre la déstabilisation au cabinet et le retour de ces heures à être l’objet sexuel de celui qui était mon psychiatre…). Savez-vous comment j’ai calmé cette angoisse? Mon esprit m’a dit: « Il sait ce qu’il fait, il sait ce qu’il fait, il sait ce qu’il fait ». Ce mantra m’a calmée. Des heures et des jours qui suivent, je ne conserve aucun souvenir. Il y aurait beaucoup à dire sur ces heures-là et les années suivantes. Retenez seulement qu’entre 2004 et 2013, je suis parvenue à me formuler que ce qu’avait fait ce salaud s’apparentait à un inceste (le père ne change pas de visage et demeure le père; mais il abandonne son rôle et en choisit un autre qu’il impose). Et en décembre 2013 (15 ans plus tard), j’ai pu dire « vous êtes entré par effraction dans ma vie; comment avez-vous pu faire cela? vous rendez-vous compte de ce que cela a représenté pour moi? ». Depuis quelques mois, je peux dire que ce « docteur en titre qui n’a rien d’un médecin » m’a violée. La violence du mot qui rend compte de la violence de ce qui m’a été imposé, je ne peux la supporter qu’aujourd’hui. Ceux qui ont perdu quelqu’un de cher dans leur vie me comprendront: dire « mon frère s’est suicidé », c’est se le dire à soi-même, or cette réalité est insupportable. Pour le viol, c’est pareil. Merci de m’avoir lue.

Neptune

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