Fichage psychiatrique par les bailleurs sociaux à Paris : l'enquête
Dans le cadre de la mission ELIAHS lancée en 2017, les secteurs psychiatriques de Maison-Blanche et de l'ASM13 ont obtenu des bailleurs sociaux que ceux-ci leur signalent les locataires à "signaux faibles" (1) au moyen d'une "fiche standardisée".
Ces signalements par le gardien d'immeuble déclenchent une visite par une équipe psycho-sociale, incitant les personnes à recourir à des soins. Ceci déclenche, de fait, un "suivi". Les données recueillies sont également croisées avec les diagnostics qui sont portés. Les hôpitaux en déduisent des liens entre ces signaux faibles "profanes" et des troubles sévères comme le trouble bipolaire ou la schizophrénie. Les responsables de ce dispositif, soutenu par la Mairie de Paris, par le GHU et par la plupart des bailleurs, en tirent des conclusions médicales sur le thème du "repérage précoce" de troubles graves, et militent pour une généralisation du dispositif en parlant de "projet à vocation durable".
Nous avons été surpris par ce dispositif peu médiatisé, et découvert incidemment dans un petit article de "Santé Mentale" d'avril 2019 (2). Inquiets des dérives que cette nouvelle initiative peut induire sur le libre choix des soins par les personnes et le respect de leur vie privée, nous avons alors posé des questions précises aux deux psychiatres promoteurs d'ELIAHS. Nous nous sommes également rendus sur le terrain pour recueillir l'opinion des locataires, ce qui ne semble pas avoir été fait auparavant.
Sommaire
- Introduction
- 1. Présentation du dispositif par ses promoteurs
- 2. Questions posées aux psychiatres
- 3. Réponses des psychiatres
- 4. Interview des locataires
- 5. L'avis d'un gardien d'immeuble, le rôle des bailleurs
- Notre avis
1. Présentation du dispositif par ses promoteurs
L'article mis en ligne par le GHU Paris affirme qu'en 2012, c'est le "Comité Local de Santé Mentale" (3) du 20eme arrondissement ainsi que l'AORIF (4) qui, souhaitant "améliorer les conditions d’accès et de maintien dans le logement social des personnes en difficultés psycho-sociales", auraient à cette fin contacté les services de psychiatrie de l'hôpital Maison-Blanche. (5)
Cette louable intention s'est traduite, en 2017, par une convention entre la Mairie de Paris, la plupart des bailleurs sociaux (6), l'EPS Maison-Blanche (Hôpital Psychiatrique situé à Paris 20eme) puis l'ASM13 (Psychiatrie du 13eme). La création des équipes ELIAHS (7) s'est alors faite immédiatement.
Le fonctionnement des équipes ELIAHS est présenté en ce début d'année 2019 dans la vidéo ci-dessous, réalisée par le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences (8)
La vidéo réalisée et diffusée par le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, montrant le fonctionnement du dispositif ELIAHS (10)
Les informations recueilles à la fois par les signalements standardisés, sur le terrain et lorsque les personnes finissent par être suivies en psychiatrie, ont fait l'objet d'une étude visant à établir un lien entre le type de signalement (impayés, désordre, etc) et le diagnostic psychiatrique fait "a posteriori". 174 locataires ont été inclus dans l'étude.
Selon les psychiatres, "l'encombrement du logement serait plus lié au trouble bipolaire, les plaintes et procédures à l'encontre du bailleur seraient liés à une schizophrénie, un trouble délirant ou une personnalité schizotypique" (2)(11). Enfin, ils signalent que 40% des personnes signalées ont fait l'objet d'une "prise en charge psychiatrique", et que 50% des personnes ont fait l'objet d'une "prise en charge sociale".
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2. Questions posées aux psychiatres
Nous avons posé les questions ci-dessous aux psychiatres à l'origine de ce système et de cette étude.
A: Catherine Boiteux, Jacques Gauillard
Cc : Groupe information asiles, Neptune
Objet : Questions sur le dispositif ELIAHS de Paris 13eme et 20eme
le 8 mai 2019
Bonjour,
Nous sommes des associations d'usagers et proches d'usagers de la psychiatrie, présentes au niveau national. Nos adhérents nous ont interpellé pour des raisons évidentes sur le dispositif ELIAHS que vous animez à Paris 20eme et 13eme, suite à la parution de l'article "Repérer les locataires en difficultés psychiques" (1) publié dans le numéro du 26 avril dernier de "Santé Mentale" et dans d'autres médias, et du film de présentation de l'ELIAHS (2).
Pourriez-vous donc avoir l'amabilité de répondre du mieux possible aux quelques questions suivantes, de manière très concrète en évitant les considérations générales, sans les exclure bien sûr sous forme de compléments ? N'hésitez pas à joindre des documents étayant vos réponses. Par avance nous vous remercions de vos réponses qui seront publiées sur nos sites internet.
1. Quel constat sur les locataires de logements sociaux a amené votre décision de mener cette initiative ?
2. Pourriez-vous nous transmettre le texte intégral de l'étude dont il est question dans l'article de "Santé Mentale" ?
3. Pourriez-vous a minima nous transmettre la "fiche standardisée" que les bailleurs sociaux transmettent à vos équipes ou à votre service dans le cadre de cette étude et de ces interventions ?
4. Comment le bailleur social d'une part, et le gardien d'immeuble d'autre part, sont-ils informés des suites données aux situations qu'ils vous transmettent et qu'ils jugent donc préoccupantes ?
5. Quelle est la procédure ou la démarche adoptée lorsqu'un(e) locataire signalé(e) pour des faits qui vous paraissent inquiétants, ne souhaite pas rencontrer l'équipe ELIAHS ?
6. Y a-t-il eu pour certaines de ces personnes ne consentant pas au dispositif, des procédures de soins sous contrainte pour péril imminent ? Combien (en excluant les personnes qui, par ailleurs, ont fait l'objet de procédures d'ASPDRE ou ASPDT) ?
7. Les personnes non consentantes à participer à un entretien - et n'ayant pas été par la suite objets d'une mesure de soins sans consentement - ont-elles été exclues de l'étude ?
8. Les personnes consentant à un entretien mais non consentantes aux soins qui leur sont proposés - et n'ayant pas été par la suite objets d'une mesure de soins sans consentement - ont-elles été exclues de l'étude ?
9. Les équipes ou le service hospitalier en charge, ont-ils au moins une fois pris contact avec les proches des personnes signalées par le bailleur, et non consentantes, dans le but de sensibiliser ces proches à la nécessité d'entreprendre des soins psychiatriques, avec ou sans consentement ?
10. L'article conclut en ces termes "Cette étude est la première menée dans le champ du logement social en France. Elle met en évidence des associations spécifiques entre des signaux faibles, repérés par les bailleurs, et certains troubles psychiatriques. Ces signaux pourraient contribuer au repérage précoce des troubles et à l'adressage vers les services spécialisés, participant, à terme, au maintien dans le logement des locataires. La grille proposée constituerait un outil précieux de liaison entre les bailleurs sociaux et les services de psychiatrie". Ces conclusions supposent que vous avez dressé un bilan quantitatif et qualitatif, à un an (ou toute autre durée), du dispositif sur l'évolution socio-professionnelle des personnes repérées, par rapport à la période qui précédait le dispositif. Est-ce le cas ? Par exemple en nombre de réhabilitations professionnelles réussies grâce au dispositif, en nombre d'évènements indésirables (suicides, violences sur des personnes, pertes d'emploi…) ou désirables (maintien dans le logement, réinsertion professionnelle hors ESAT, etc.) : est-ce le cas ?
Pouvez-vous nous transmettre ces éléments chiffrés ?
11. Question d'actualité : si un bailleur vous signale une personne qu'il voit ou suspecte de se livrer à des activités de trouble à l'ordre public, lui conseillez-vous de s'adresser de préférence à la police, ou faites-vous une visite à cette personne pour mieux évaluer la présence de troubles psychiques éventuels ? Et dans ce cas, transmettez-vous ces informations vous-même à la police ?
Merci beaucoup pour vos réponses aussi complètes que possible.
Pour l'association Neptune, François Lallemand et Michèle Edaine, Président et Secrétaire Générale
Pour le Groupe Information Asile, Nicole Maillard, vice-présidente.
(1) https://www.santementale.fr/actualites/reperer-des-locataires-en-difficultes-psychiques.html
(2) https://vimeo.com/305757121
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3. Les réponses des psychiatres
Nous avons reçu la réponse ci-dessous :
De : Émilie Malbec
A : Neptune, Groupe Information Asile
le 15 mai 2019
Bonjour,
Vous avez sollicité le Dr Catherine Boiteux dans le cadre de la recherche sur la «Grille de signaux faibles observables dans le cadre du logement social» menée par la cellule épidémiologie du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. En tant que chargée de mission sur les Equipes ELIAHS, je reviens vers vous pour affiner votre demande.
Pour votre information, les résultats partiels que vous avez pu consulter dans la revue « Santé mentale » ne sont pas encore publiés officiellement. Un article paraitra prochainement dans une revue scientifique.
Ainsi, si vous souhaitez avoir de plus amples renseignements, pourriez-vous nous informer de vos besoins. Nous pourrons, le cas échéant, vous transmettre la grille à titre confidentiel protégée par la propriété intellectuelle de ses auteurs ou vous tenir informer de la sortie de l’article scientifique.
N’hésitez pas à revenir vers moi pour échanger sur la mise en place et le fonctionnement de ces équipes ELIAHS, projet expérimental répondant aux besoins identifiés conjointement par la psychiatrie, les bailleurs sociaux et la Ville de Paris mis en place à Paris depuis 2017.
Cordialement,
Emilie Malbec
Chargée de mission des Equipes ELIAHS Paris 13ème et 20ème
Tel 06 xx xx xx xx
Nous avons donc réitéré nos questions :
De: Neptune
A : Émilie Malbec
cc : Neptune, Groupe Information Asiles
le 16 mai 2019
Bonjour,
Nous vous remercions de votre réponse, et prenons note que la fiche standardisée, ou grille, est protégée par les droits d'auteur, et que l'étude pourra être consultée ultérieurement dans une revue scientifique.
Ayant également l'intention de publier bientôt un article sur la mission des équipes ELHIAS, et soucieux de donner la parole à toutes les parties prenantes, nous vous remercions donc de bien vouloir nous donner vos meilleures réponses aux questions restant posées.
Voici les questions restant posées :
Suivent les 11 questions posées initialement
Merci beaucoup pour vos réponses aussi complètes que possible.
Pour l'association Neptune, François Lallemand et Michèle Edaine, Président et Secrétaire Générale
Pour le Groupe Information Asile, Nicole Maillard, vice-présidente.
Au jour de la parution de cet article, soit un mois et demi après l'envoi initial des questions, nous n'avons toujours pas reçu de réponses.
A noter que le 28 mai, le Dr Catherine Boiteux nous a envoyé mot pour mot la même réponse que celle reçue de Mme Malbec le 15 mai, puis s'est excusée pour ce croisement de mails. La réponse a donc bien été élaborée en commun.
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Logements sociaux à Paris 20eme
(1) Les "signaux faibles", par oppositions aux situations de crise aiguë, sont, selon les psychiatres :
- les "impayés"
- les "problèmes d'hygiène"
- le "comportement incohérent"
- l'"encombrement du logement"
- l'"agressivité" (2)
- les "plaintes et procédures à l'encontre du bailleur" (11)
La liste exhaustive ne nous a pas été communiquée : la "fiche standardisée" est "protégée par les droits d'auteurs". Voir à ce sujet la réponse des psychiatres.
(2) Source : Article "Repérer des locataires en difficulté psychique", Santé Mentale, 26 avril 2019
(3) CLSM - Comité Local de Santé Mentale : groupe consultatif local, institué en 1990, constitué de psychiatres, d'associations, d'acteurs de la vie publique locale. A Paris 20eme, il est présidé par le maire du 20e, coprésidé par son adjoint à la santé, et comporte 30 membres, essentiellement des institutions et professionnels de santé concernés par la psychiatrie, l'Unafam (9) et un GEM. Il se réunit trois fois par an.
(4) AORIF - Union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France, est une sorte de syndicat professionnel des bailleurs sociaux publics et privés.
(5) Source : Article "Une collaboration unique entre les bailleurs sociaux et la psychiatrie de secteur pour une meilleure appréciation de la souffrance psychique", GHU Paris, non daté
(6) Liste des bailleurs sociaux participant aux ELIAHS :
Paris Habitat
France Habitation
Elogie Siemp
HSF
RIVP
RLF
Logis Transport
Efidis
Coopération et Famille
Domaxis
I3F
ICF
Adoma
Batigère
Source : présentation vidéo par le GHU Paris, ci-contre
(7) ELIAHS : Equipe de Liaison Intersectorielle et d’Accompagnement entre Habitat et Soins
(8) GHU Paris : Groupement Hospitalier Universitaire de Paris. Sa branche "psychiatrie et neurosciences", regroupe Sainte-Anne, Maison Blanche et l'ASM13.
(9) Unafam : Union Nationale des Familles et Amis de Malades psychiques, très grosse association réservées aux proches.
(10) Copie de sécurité effectuée par nos soins. Voir la vidéo originale
(11) 17eme congrès de l'Encéphale, 23 au 25 janvier 2019. Lire le résumé
4. Interview des locataires
Comme la présentation du projet et ses premières conclusions ne font pas état de l'opinion des premiers intéressés - les locataires - nous avons souhaité remédier à cette lacune. Nous nous sommes donc transportés sur place, à Paris 13e et Paris 20e et avons interviewé une dizaine de locataires choisis au hasard, au pied de différents immeubles de logements sociaux.
Les mêmes questions ont été posées à toutes les personnes rencontrées :
1. Êtes-vous est au courant que le gardien de votre immeuble peut signaler à l'hôpital psychiatrique toute personne dont le comportement lui semble bizarre (appartement en désordre, bruits, conflits) ?
2. Qu'en pensez-vous, et est-ce que vous trouvez cela normal ?
3. Vous accepteriez que du personnel médical vienne vous voir à la demande du gardien suite à ce type de signalement ?
4. Si vous vous sentez très mal, en crise, prendrez vous l'initiative d'appeler quelqu'un de votre famille, le samu, les urgences psychiatriques ? Si un grave problème vous arrivait et vous perturbait fortement, iriez vous consulter un psy ? autre ?
Des interviews représentatifs sont publiés ci-contre.
L'analyse des réponses
Nos questions auraient dû être plus précises concernant les "signaux faibles", et auraient dû bien faire la distinction entre d'une part un signalement d'urgence suite à une crise aiguë, et d'autre part un signalement systématique suite à des impayés, des plaintes et procédures à l'encontre du bailleur etc.
En effet, les locataires n'ont pas imaginé une seule seconde que l'on pouvait faire un signalement psychiatrique pour des impayés, du désordre dans le logement etc., et l'on entend bien dans les réponses que leur réaction concerne plutôt le fait d'appeler les pompiers, et/ou d'avoir recours à la psychiatrie en cas d'incident grave.
En synthèse, quelques tendances fortes se dégagent des interviews :
a. Il est ressenti comme normal par tous les locataires interviewés, que des incidents graves, mettant en jeu la sécurité physique des personnes, ou intolérables comme des cris continus, fassent l'objet d'un appel aux urgences (pompiers, police, samu, etc.) par le gardien ou par les voisins.
Un seul locataire trouve normal le signalement d'un "comportement bizarre" directement par le gardien à l'hôpital psychiatrique, ainsi que la visite d'un psy, y compris dans son cas personnel.
b. Le fait de recevoir la visite d'une équipe psychiatrique est considéré comme normal, mais uniquement dans ce contexte de crise aiguë, sauf pour une étudiante.
c. Lorsque l'on pose la question pour elles-mêmes, les personnes estiment qu'en cas de stress important ou de problèmes psychiques, elles s'adresseront, dans l'ordre :
- - à un proche (grande majorité des réponses)
- à un psychologue (une réponse)
- à un psychiatre (une réponse)
- en cas d'urgence, à un service d'urgence (implicite dans toutes les réponses)
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5. L'avis d'un gardien d'immeuble, et le rôle des bailleurs
Nous avons incidemment recueilli l'avis d'un gardien d'immeuble : celui-ci s'est déclaré vivement opposé à ce système, autant pour des questions de temps (il garde 3 immeubles) que de principe : il s'est estimé infondé à effectuer des signalements à la psychiatrie au sujet de personnes qu'il estime ne pas connaître suffisamment.
Par ailleurs, les impayés font partie de la liste des "signaux faibles", et sont fréquemment transmis aux psychiatres, puisque ceux-ci ont dénombré 47% d'impayés parmi les signalements (2). Or des professionnels du logement social de Paris nous ont certifié que les gardiens ne sont jamais informés des impayés locatifs.
Ceci montre que les signalements ne sont pas seulement le fait de gardiens d'immeubles, mais proviennent des directions administratives des sociétés de bailleurs, incitées par leur syndicat professionnel, l'AORIF.
Les signalements ne se résument donc pas une simple fiche émise à un instant donné par le gardien, mais font intervenir, ne serait-ce que pour les impayés, le système d'information central des bailleurs.
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Notre avis
Nous ne contestons pas le fait que, parmi les bénéficiaires de logements sociaux, la prévalence de souffrances psychiques soit plus importante que dans le reste de la population. Ni qu'une aide sociale et psychologique soit infondée pour ces personnes.
Par contre, nous contestons la méthode.
Le signalement par le gardien d'immeuble ou par le bailleur, directement à la psychiatrie, et pour des motifs aussi ténus et hors champs de la psychiatrie comme l'encombrement, les impayés, les plaintes, etc. marque une claire ingérence dans la vie privée de personnes qui ne sont pas demandeurs de soins psychiatriques, et ne présentent pas non plus un "péril imminent" pour eux-mêmes ni pour autrui.
40% des locataires ainsi signalés pour des faits anodins d'un point de vue médical, se retrouvent "suivis en psychiatrie". Les auteurs de l'étude ne nous ont pas répondu sur la question du consentement au soin psychiatrique de ces personnes, ce qui nous porte à croire qu'une partie non négligeable de ces personnes ont fait l'objet de soins sans consentement.
Sous couvert de bonnes intentions, on psychiatrise, parfois de force, des personnes qui n'ont rien demandé, et qui ne présentent aucunement un "danger imminent". Comme si le dispositif légal d'internement à la demande d'un tiers ou d'un représentant de l'état, et qui tourne à plein régime, ne suffisait pas à augmenter encore le nombre de personnes qui subissent - au nom d'un "principe de précaution" surestimé - un traitement psychiatrique, c'est-à-dire un diagnostic stigmatisant et des psychotropes invalidants, et qui de ce fait voient leur situation se dégrader : passer d'une situation précaire ou modeste, à une situation de "malade assisté", perdant presque tout espoir d'une meilleure intégration professionnelle et sociale.
De plus, le dispositif ELIAHS comporte un risque très important de divulgation du secret médical :
- Auprès des services sociaux : depuis la loi de modernisation de la santé publique de janvier 2016, la communication de données médicales aux services sociaux "dans l'intérêt des personnes" est autorisée. En l'occurence, on apprend que l'examen psychiatrique par les équipes ELIAHS aboutit à un signalement aux services sociaux dans 66% des cas (11).
- Auprès des bailleurs : il est illusoire de croire qu'une collaboration aussi étroite puisse les tenir éloignés d'informations médicales, et qu'ils ne soient pas plus ou moins informés des suites données par la psychiatrie pour les personnes qu'ils lui signalent. A minima, le risque est très important.
Nos propositions
Comment aider des personnes en difficulté sociale, comment faire de la "prévention" pour les quelques personnes dont les difficultés psychiques évolueront en trouble grave, tout en respectant leur droit de choisir ou non tel ou tel type de soin ? Et tout en garantissant le secret des données médicales et l'absence de fichage croisé entre les données des bailleurs, celles des services sociaux et celles des médecins ?
D'abord, en cessant de confondre "dépistage" et "prévention". Le dépistage est utile en médecine uniquement :
- 1/ lorsque les symptômes dépistés sont annonciateurs, avec certitude, d'une maladie grave,
2/ et lorsque l'on peut en interrompre à temps l'évolution.
C'est le cas pour les cancers, le diabète, etc.
Ce n'est pas le cas pour les troubles psychiatriques : des "associations" - par exemple l'émission de plaintes répétées à l'encontre du bailleur, des impayés, etc. - ne sont pas des signes avant-coureurs certains de trouble paranoïaque. S'ils le sont, c'est seulement pour une très petite part : il n'y a pas de lien.
D'autre part, quand bien même il y en aurait, le "traitement précoce" n'existe pas, du moins pas dans le domaine psychiatrique : aucun traitement médicamenteux psychiatrique n'est indiqué ni autorisé à titre préventif, du fait de leurs rapport bénéfice/risque très défavorable dans ces situations non avérées, et à cause de leurs effets secondaires invalidants.
Il n'y a donc aucun motif de pratiquer le dépistage en psychiatrie. Cette opinion est également celle, entre autres, du Professeur Hélène Verdoux, l'une des psychiatres épidémiologistes les plus en vue en France, exerçant également comme chef de pôle au CHU Charles Perrens de Bordeaux (12).
Ensuite, en reconsidérant les méthodes de prévention. Les interventions psychiatriques de prévention réelles et efficaces existent, mais elles ne sont pas reconnues en France. Elles consistent à intervenir très rapidement à l'aide d'un numéro d'appel 24/24 7/7 et uniquement en cas de crise psychotique aiguë, sous la forme d'un dialogue, d'une aide par la parole et en groupe et respectant un certain nombre de principes forts. Cette méthode s'appelle "Open Dialogue" (13). Elle a permis à toute une région de Finlande de conjurer la schizophrénie, en empêchant les premiers "épisodes psychotiques" de se cristalliser en schizophrénie.
Il s'agit bien de prévention car l'intervention prévient l'évolution d'une psychose en schizophrénie. Il ne s'agit pas de dépistage car les "indices" ou "signaux faibles" ne sont pas des motifs d'intervention pour Open Dialogue.
Nous appelons les responsables des équipes ELIAHS et, au delà, toutes les équipes de secteur intervenant en France, et toutes les autorités médicales, à se pencher enfin sur l'approche Open Dialogue. Seule cette approche peut, à notre connaissance et en se basant sur des résultats statistiques, enrayer l'augmentation préoccupante de la prévalence des troubles mentaux en France et dans le reste de l'occident.
La tendance consistant à faire du dépistage actif en recourant aux bailleurs, mais pourquoi pas, si l'on suit cette logique, aux employeurs, aux enseignants, à la CPAM, au buraliste et à l'épicier, n'a aucun avenir et n'apporte rien de bon. Et nous ne sommes pas les seuls à le penser.
Associations Neptune - www.forumpsy.net et le Groupe Information Asiles
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Notre équipe de reporters. De gauche à droite : Laurence, Jean-Jacques et Michèle
Interview No 1 (1 minute 20s)
Interview No 2 (4 minutes 30s)
Interview No 3 (5 minutes 30s)
Interview No 4 (2 minutes 40s)
(12) Hélène Verdoux, Professeur de psychiatrie et chef de Pôle au CHU Charles Perrens, dans "Les antipsychotiques", éditions Lavoisier, 2013 :
"L'absence de démonstration d'un réel bénéfice à long terme des programmes de dépistage va, espérons-le, contribuer à modérer l'enthousiasme et le prosélytisme actif qui a prévalu pendant quelques années concernant la mise en place de ces programmes, et donc l'extension des indications des antipsychotiques aux sujets à haut risque. "
(13) Voir Open Dialogue : une thérapie qui a pratiquement fait disparaître la schizophrénie en Finlande
Appel à témoins et droit de réponse
Malgré tous nos efforts, des erreurs peuvent encore subsister dans cet article. Nous appelons donc toute personne impliquée à un titre ou à un autre à exercer son droit de réponse ou à apporter des éléments complémentaires à nos analyses, en utilisant le bouton "Répondre" ci-dessous.
Les témoignages directs de personnes habitant en logement social à Paris, et confrontées à un titre ou à un autre à la psychiatrie, seront également très appréciées. Merci d'utiliser à cette fin le bouton "Répondre" ci-dessous.
L'association se réserve le droit de ne pas publier une réponse contrevenant aux textes en vigueur, ou d'anonymiser le nom de personnes non publiques que ces réponses contiendraient.
Neptune
Voir aussi :
Le communiqué de Presse du 30 juin 2019